Le 16 mai 2011

Chacun cherche son chemin

Josée Labrie

La religion n'est pas morte. Des professionnels de tous les horizons se tournent vers la spiritualité pour cheminer. Enquête sur le renouveau du religieux contemporain.

Au début du XXe siècle, on nous annonçait la disparition imminente de ce que Karl Marx appelait «l'opium du peuple». Aujourd'hui, avec le recul, on constate que cette prophétie ne s'est pas avérée juste, loin s'en faut. Après un déclin relatif, la religion a repris de la vigueur, de décennie en décennie. L'accroissement des mouvements migratoires, l'augmentation du flot d'immigrants de même que le vieillissement des populations ont refaçonné les besoins spirituels des Occidentaux et provoqué de nouveaux questionnements. S'il est vrai que le paysage religieux se fragmente, il n'en demeure pas moins qu'il est vivant. Et beaucoup plus qu'on pourrait l'imaginer.

Difficile d'étiqueter

La donnée peut d'abord surprendre : une grande majorité de Québécois (83 %) «s'identifient» toujours à la religion catholique romaine, selon le recensement de 2001 de Statistique Canada. Il faut reconnaître que si la pratique religieuse était très balisée à l'époque où l'Église exerçait une grande influence au Québec, elle prend aujourd'hui de multiples formes qu'il n'est pas aisé d'étiqueter. «La religion est diffuse et de moins en moins pratiquée dans un lieu de culte identifié», affirme Marc Dumas, doyen de la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie (FATEP).

Les besoins spirituels sont partout en pleine mouvance. Les églises sont vides, mais les questionnements demeurent, surtout ceux qui touchent à la mort et à la souffrance.  Nous avons rencontré quelques-uns de ces Québécois qui cherchent leur chemin dans la réflexion spirituelle.

Des questionnements essentiels

Sylvie Lafrenaye, pédiatre spécialisée en soins intensifs, doit régulièrement faire face à de grands questionnements. «En médecine et en science, on est excellents dans le "comment". Comment c'est arrivé, comment ça se fait que l'antibiotique ne fonctionne pas… Mais on n'a pas de réponse au "pourquoi", alors on l'élude», explique-t-elle. Jocelyne Benoit, pour sa part, accompagne des malades en phase terminale à la maison La rose des vents depuis plus de 10 ans. «J'ai observé que les mêmes questions reviennent souvent. Les gens me demandent ce que ça leur a donné de vivre», raconte-t-elle. Une question existentielle à laquelle elle n'a pas toujours de réponse.

Caroline Boucher se déplace d'une école primaire à l'autre pour accomplir son travail d'animatrice à la vie spirituelle. Elle remplace le conseiller à la pastorale, un emploi disparu des écoles au tournant des années 2000. «Au moment de concevoir un atelier autour de la question de la mort et des rituels funéraires, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas expliquer aux enfants ce qu'est un rituel parce que je ne le comprenais pas totalement moi-même», explique-t-elle.

Ces interrogations montrent bien que la religion garde sa place quelle que soit l'époque. «La religion, c'est quelque chose d'essentiel qui cherche à articuler le sens de la vie», souligne Marc Dumas. «Elle nous permet de nous intéresser à ce qui est transcendant, à ce qui va au-delà de la vie terrestre. Ça nous aide à expliquer notre place dans le monde, à comprendre le sens de la vie et donc, de la souffrance», répond Sylvie Lafrenaye. «C'est notre assise pour vivre notre spiritualité», explique à son tour Jocelyne Benoit.

La religion, un outil de travail

Sylvie Lafrenaye, Jocelyne Benoit et Caroline Boucher ont ressenti le besoin d'approfondir la question religieuse pour mieux faire leur travail. Sylvie Lafrenaye veut creuser un constat qu'elle a réalisé durant ses années de pratique. «Pour certaines familles dont un enfant est malade, la souffrance semble relativement tolérable, alors que pour d'autres, la douleur est telle qu'elles en deviennent désagréables avec le personnel médical. Qu'est-ce qui est à la base de ça? J'aimerais trouver quelques pistes de réflexion sur le plan spirituel qui pourraient me servir dans mon travail.» Jaqueline Benoit, elle, veut être en mesure de répondre aux personnes qu'elle accompagne pour leur permettre de mieux entreprendre leur dernier voyage. Caroline Boucher cherche, pour sa part, à explorer la question des rituels chez certains groupes ethniques.

En quoi la religion aide-t-elle ces professionnelles dans l'exercice de leurs fonctions? Jocelyne Benoit a dû réfléchir sur sa propre foi pour aborder les questions de ses patients. «Ça m'a obligée à faire l'examen de ma quête de sens, de ma spiritualité et à prendre conscience que j'ai la foi. Je pense que c'est ce qui m'a donné la sérénité nécessaire pour continuer à aider les gens qui sont à la veille de leur mort et qui me posent ces questions fondamentales sur le sens de leur vie», raconte-t-elle.

«Je crois que ce qui fait souffrir le plus mes patients, soutient Sylvie Lafrenaye, c'est de ne pas trouver de réponse lorsqu'ils se demandent pourquoi ça leur arrive à eux. La souffrance devient alors une quête existentielle à laquelle la sphère religieuse peut donner un sens.»

De son côté, Caroline Boucher se sent plus à l'aise dans son travail après avoir approfondi la question des rituels de différentes confessions religieuses. «Je peux par exemple demander aux enfants d'identifier des valeurs et ensuite de m'expliquer comment ils les intègrent dans leur quotidien. C'est un moyen de reconnaître les valeurs communes entre les différentes nationalités.»

De la religion dans le sac à dos

L'intérêt pour la question religieuse trouve son origine dans diverses sources. Pour Daniel Camirand, avocat au service juridique d'une commission scolaire, l'intérêt n'est pas motivé par sa situation professionnelle, mais par des préoccupations très actuelles. Il souhaite approfondir un phénomène qu'il a observé chez les jeunes : la quête spirituelle par le voyage. La trame de fond du film-culte américain Into the Wild, réalisé par l'acteur Sean Penn, en est un bel exemple. Ce film raconte l'histoire d'un jeune Américain parti en quête de sens et de liberté, qui meurt tragiquement, perdu seul en Alaska.

«Je m'intéresse aux motivations spirituelles des gens qui entreprennent ce type de voyage, comme les jeunes que l'on surnomme les backpackers ou encore les gens qui font le chemin de Compostelle», explique-t-il. Ces jeunes, qui partent parfois pour plusieurs mois loin des leurs, vivent des expériences qui comportent un aspect spirituel important mais non reconnu. «Lorsqu'ils sont de retour, ils désirent communiquer cette expérience, mais ne trouvent pas les mots ni les gens pour les écouter. Ils vivent alors souvent un moment tragique de solitude et d'incompréhension», raconte celui qui a lui-même effectué ce type de voyage à la fin de ses études.

Daniel Camirand souhaite aider les familles de ces voyageurs à mieux comprendre leurs motivations. «J'aimerais permettre à ces jeunes de rendre légitime leur expérience actuellement non comprise des parents, qui considèrent souvent ces voyages comme une toquade sans fondement», précise-t-il.

Les nouveaux besoins spirituels

Le regain d'intérêt pour les questions religieuses se manifeste également à l'université. Les cours d'Histoire du christianisme n'ont jamais été aussi populaires. Certains étudiants en doctorat approfondissent également la question de la diversité religieuse. «Ça soulève des questions de voir des communautés qui s'installent chez nous et pour lesquelles la religion est quelque chose d'important. Ça force les Québécois à réfléchir sur leur rapport avec le religieux», indique Claude Gélinas, anthropologue et professeur à la FATEP. «Dans un tel contexte, explique à son tour Pierre Noël, nous pouvons faire évoluer les logiques du "croire" en approfondissant le phénomène religieux.»

Le théologien a participé avec ses collègues à la création d'un nouveau programme de doctorat qui s'intitule Le religieux contemporain. «Si, par exemple, on veut intégrer les nouveaux arrivants, il faut être capables d'entrer en contact avec leur propre logique du "croire", pour leur faire adopter des valeurs qui sont davantage les nôtres. À l'inverse, ajoute le théologien Pierre Noël, il faut faire évoluer les Canadiens qui voient comme une menace le multiculturalisme et adoptent une position de repli en se retranchant derrière ce qu'ils considèrent comme des valeurs traditionnelles.» «Ce que notre champ d'étude peut permettre dans ce contexte, résume Marc Dumas, et ce qui m'intéresse le plus, c'est de faire en sorte que des hommes et des femmes se tiennent debout dans la société et qu'ils puissent vivre librement.»